Revisiter l’évaluation contre l’échec scolaire De la constante macabre à l’évaluation par contrat de confiance

, par V. FLOIRAC

André Antibi, professeur en sciences de l’éducation dans l’académie de Toulouse, a mis au jour le concept de constante macabre en 1988. De son propre aveu, il pensait que le simple fait d’avoir exposé ce phénomène suffirait à le supprimer, se rendant compte que la constante macabre perdure, il propose d’évaluer les élèves par contrat de confiance afin de supprimer cette pratique inconsciente.

Pour ceux qui ne connaissent pas la constante macabre.
La constante macabre peut être considérée comme la proportion de mauvaise note pour que l’évaluation et l’évaluateur soient considérés comme crédibles ! La répartition des notes est très généralement composée de trois tiers : un tiers de bonnes, un de moyennes et un de mauvaises. Cet état de fait est une exception du système éducatif français et des pays qui ont adopté notre système comme modèle. L’évaluation par compétence ne change rien à l’affaire puisque les items "non-acquis", "en cours d’acquisition", "acquis" permettent de reproduire ce schéma. Une illustration de cette exception franco-française est l’expression "avoir la moyenne". Cette expression est simplement incompréhensible pour les enseignants étrangers. Elle révèle une conception inconsciente de l’évaluation qui ne permet pas à l’évaluation de jouer son rôle, c’est-à-dire de donner de la valeur au travail de l’élève. Comment est-il concevable d’être reçu à l’agrégation avec 6 ou 7 de moyenne ? Cela reflète-t-il la qualité du travail des lauréats du plus haut concours d’entrée dans le corps des enseignants de l’Education nationale ?

Cette pratique inconsciente des évaluateurs est présente à tous les niveaux du système éducatif (selon A. Antibi, c’est au lycée professionnel que cette pratique est la moins répandue), il en découle de fortes conséquences à la fois pour les élèves, les acteurs de l’enseignement, les établissements, le système éducatif tout entier et même la société française s’en trouve impactée !
Les premières victimes sont les élèves issus des milieux défavorisés et élèves "dys". La constante macabre permet d’expliquer pourquoi la France est le pays où le niveau social d’origine a le plus d’influence sur les résultats scolaires. La conséquence directe est la perte de confiance en soi des élèves, entrainant une perte de motivation et une détérioration du climat de confiance entre le professeur et ses élèves. Cette création artificielle d’une part de l’échec scolaire est pour parti responsable des violences scolaires par effet boomerang !
La constante macabre génère stress et mal-être chez les élèves. L’école, les familles en sont les premiers moteurs à tel point que dans une enquête menée dans quarante-trois pays à la question "êtes-vous heureux à l’école ?", la France se classe dernière !
L’évaluation pèse de tout son poids dans l’orientation des élèves, elle y joue un rôle prépondérant, elle contribuerait à la baisse du nombre d’élèves dans les filières scientifiques de l’enseignement supérieur. Il en découle une inflation des cours particuliers et des structures associées.

Pourquoi la constante macabre perdure alors que les enseignants de par l’essence de leur métier font preuve de bienveillance et d’empathie ? Il s’agit d’un phénomène inconscient et l’inertie de la tradition ancre des conceptions et des gestes comme étant celles et ceux "du métier". Ainsi les évaluateurs reproduisent puis produisent leur propre constante macabre. Le moment de l’évaluation est toujours délicat, il se doit d’être à l’équilibre de deux respects celui de la progression établie par l’enseignant et celui du rythme d’apprentissage des élèves. Il est source de confusion entre la phase d’apprentissage et celle d’évaluation. Dans cette pratique inconsciente, l’enseignant envisage la répartition des notes selon une courbe de Gauss. Cette répartition se révèle exacte pour des phénomènes naturels qu’en est-il réellement de l’évaluation ? Cette représentation des résultats d’une évaluation génère automatiquement 50% d’échec si elle est centrée sur 10/20 !

L’enseignant construit sa propre constante macabre, voici "les 10 trucs" relevés par André Antibi dans lesquels chaque enseignant pourra se reconnaitre ou les reconnaitre existants.
 La difficulté des questions posées.
La distance entre ce qui a été étudié et ce qui est proposé génère inconsciemment une difficulté source d’échec. Le simple emploi d’un mot peu défini pour les élèves peut se révéler bloquant.
 L’élimination de la question "cadeau".
Si tous les élèves peuvent répondre à une question alors les professeurs ne la posent pas. Si l’objet de cette question faisait partie des apprentissages, ils se privent de le reconnaissance du travail des élèves.
 De la progressivité à l’échec.
Des sujets trop "bien équilibrés" créent artificiellement une répartition gaussienne centrée sur 10/20 amenant la moitié des élèves dans une position d’échec.
 Le barème retravaillé.
Si après une évaluation lors de la correction des premières copies, l’enseignant est amené à ne mettre que des bonnes notes, il se questionne sur la validité de son barème et peut décider de le modifier afin de ramener les notes à un niveau plus adéquat ...
 La rigueur de la rédaction.
L’exigence de la qualité de l’écrit est un milieu où la subjectivité de l’évaluateur est sollicitée. Les opportunités de dévaluer les copies ne manquent pas.
 La longueur du sujet.
Sur tel sujet que l’enseignant préjuge aisé pour les élèves, il est tenté de le rallonger.
 La beauté du sujet.
Quand le concepteur privilégie l’intérêt qu’il porte au sujet à sa pertinence pour estimer les effets de son enseignement.
 L’étendue du sujet.
Lorsque le sujet prend plus en compte la totalité du programme travaillé plutôt que sa faisabilité.
 La question pour Musclor.
Elève réel ou fictif, Musclor est l’élève qui serait en mesure de finir l’évaluation en avance, cet outrecuidant qui, sans vous narguer, aurait ce visage souriant coupable d’avoir surmonter l’épreuve proposée avant la fin du temps imparti. "Si Musclor le fait, pourquoi pas vous ?"
 La drôle de générosité.
En cas de manquement avéré de travail de la part des élèves, tant la moyenne est mauvaise, le professeur remonte la moyenne artificiellement et ouvertement (+ 2 général ou autre).

En réponse à cette constante macabre, funeste pour la reconnaissance du travail réel de l’élève, André Antibi propose une méthodologie aux enseignants dont la philosophie est "faire comprendre à l’élève que le travail est important". Il conçoit la constante macabre comme une addiction au tabac et l’Evaluation Par Contrat de Confiance (EPCC) serait comme une pratique vertueuse pour une désaccoutumance à une vilaine habitude. Son objet initial est donc de permettre à l’enseignant de se débarrasser du réflexe de "constante macabre", l’EPCC bénéficie d’un soutien fort des autorités locales ou nationales. Après trois années d’expérimentation, André Antibi propose une mise en pratique selon quelques principes.
 1er temps.
L’analogie avec l’apprentissage et l’interrogation du code de la route permet de concevoir l’esprit de la méthode. Afin de favoriser les élèves travailleurs, l’évaluation doit porter sur une liste de questions préétablies et distribuées aux élèves. Ces questions ont déjà été traitées en classe, elles composent l’essentiel du sujet (16/20 étant la limite basse). Elles répondent à certaines conditions. L’apprentissage par coeur à restitution immédiate dénuée de sens est proscrit ( ex réponse a.b.a.c. à un QCM), elles portent strictement sur le programme traité, la longueur de la liste doit être raisonnable( 3 ou 4 fois la longueur du sujet maximum), cette liste ne donne que les questions.
 2e temps.
Afin que les objets du programme soient bien travaillés, une séance de questions/réponses doit être proposé avant chaque évaluation. Elle doit permettre aux élèves en connaissance de la liste de question de demander des explications sur certains points et au professeur d’apporter les éclaircissements nécessaires.
 3e temps.
Pour le contenu et la correction, le choix dans la liste doit être équilibré, la longueur du sujet doit être raisonnable et permettre aux meilleurs de finir en avance (cela représente un garde-fou), les questions hors liste doivent être faisables et l’exigence de rédaction doit conserver un caractère usuel.

La volonté d’André Antibi est de permettre à l’enseignant de sortir de la constante macabre, de favoriser la mise en valeur du travail de l’élève et donc de stimuler, de vivifier son appétence pour les apprentissages par la reconnaissance de son travail.
L’introduction du contrôle continue aux diplômes du brevet et du baccalauréat renforce le rôle et les responsabilités de l’évaluateur. Aussi, même si revisiter ses pratiques d’évaluations peut paraitre couteux en temps et en énergie, le bénéfice pour les élèves et pour l’enseignant, lui, semble attractif et séduisant.

Pour en savoir plus :
http://mclcm.free.fr/
http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2016/05/30052016Article636001891350587753.aspx
http://www.scoplepave.org/archives/docus/constante%20macabre.htm

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